23 mai 2007

Sur le Trajet (chapître trentième)

Vers midi moins le quart, Gilles se dirige vers l’arrêt de bus pour rentrer chez lui. Fabrizzio semble un peu triste de le voir partir et lui donne une petite carte sur laquelle figure son numéro de téléphone.
Gilles lui promet de l’appeler dans la semaine pour aller boire un verre.
Tandis que le bus s’éloigne, Fabrizzio reste planté là, attendant que le car disparaisse complètement de la portée de son regard.
Gilles reste un peu interloqué par ce garçon qui, en une nuit, semble s’être attaché très fortement à lui.

Après tout, n’en fut-il pas de même pour lui lorsqu’en une après-midi il devint mordu de Manu ?

Gilles observe la carte que lui a remise Fabrizzio.
Blanche, rectangulaire, un simple prénom suivi d’un numéro de téléphone.
Il la range dans la poche intérieure de sa veste en se disant qu’il le rappellerait dans quelques jours.
Il reste néanmoins pensif tout le long du trajet qui le reconduit jusqu’à chez lui.
Après tout la soirée fut excellente…
Après tout la nuit aussi…
Après tout la matinée aussi…
Après tout, Fabrizzio est beau gosse et semble sensible…
Mais alors pourquoi Gilles n’arrive pas à être satisfait de cette rencontre ?
Pourquoi n’éprouve-t-il pas un petit frimas de joie ? Un petit picotement au creux du ventre ?
Gilles met ça sur le compte de la surprise.

Car à l’origine, il voulait juste passer la nuit avec un inconnu et prendre du plaisir.
Finalement il a passé la nuit avec quelqu’un qui s’est révélé attachant. Et rien n’avait préparé Gilles à ça.
Il s’est lui-même laissé entrainer par une gentillesse toute naturelle de ce beau brun qui semble s’ennuyer dans un quotidien luxueux avec un homme qu’il n’aime pas.
Gilles trouve ça plutôt pathétique, mais il se dit que chacun à sa propre manière de survivre.
Alors qu’importe, car tout le monde, au bout du compte, cours après, une petite quête de bonheur, une petite part de quiétude.
Le tout pour juste éviter ainsi la solitude du cœur et celle de l’âme.
Alors on s’invente une vie qu’on rêve plus qu’on ne la vit véritablement.
On laisse le temps nous échapper et parfois, le réveil est rude car trop tardif.
Alors on se retourne pour contempler le chemin parcouru et l’on se dit que tout ça est passé bien vite. Qu’en l’espace d’une vie, d’une toute petite vie, les courants d’air, les fausses pistes et les pertes de temps sont plus nombreuses qu’on ne veut bien le croire ou se l’avouer.

Mais heureusement, ce matin-là, Gilles est à peine à l’aube de ses vingt ans. Et il se dit que si la petite bulle d’oxygène n’est pas présente, ce n’est pas bien grave.
Les tenants et les aboutissants sont un peu grippés et il n’a pas la tête encore libre pour appréhender une nouvelle histoire.
Alors il va essayer d’y voir plus clair et il rappellera le beau brun. Car il a envie de lui laisser le bénéfice du doute.
Après tout, Fabrizzio s’est mis en quatre hier soir et ce matin pour le nourrir et lui faire plaisir.
Il a su jouer profil bas quand Gilles était dans l’ombre de Manu hier soir, et il est demeuré très respectueux de tout cela.
Oui, c’est décidé, Gilles reverra Fabrizzio en fin de semaine.
Nous sommes le mardi 20 juin 1987. Gilles se dit qu’il rappellera Jeudi.
C’est bien jeudi.
Ca laisse du temps.
Ca montre qu’on ne précipite rien.
Ca sous-entend que l’on attend rien de particulier sinon de se revoir et peut-être passer de nouveau un bon moment.
Oui, vraiment… jeudi c’est l’idéal !!

Gilles ouvre la porte d’entrée de son immeuble et se hisse par l’ascenseur jusqu’au 7ème étage, 7ème ciel de sa douce jeunesse. L’étage de sa vie.
Il ouvre la porte tandis qu’il entend Madame mère vociférer contre la sonnerie du téléphone.
Elle le frôle tandis qu’il franchit le pas de la porte.
Des bonnes odeurs de cuisine parviennent jusqu’à ses narines.
Les couverts sont dressés pour trois. Ainsi Monsieur père vient déjeuner ce midi.
Ce n’est pas toujours le cas du fait de son travail, mais il semblerait qu’aujourd’hui il ait le temps de le faire.
Gilles est ravi à l’expectative de manger avec ses parents.
Il aime beaucoup ces moments échangés.
Le temps du ‘manger’ permet de partager beaucoup de choses.
Les langues se délient plus facilement autour d’une table.
Cela reste un moment privilégié !

Gilles se rend donc dans sa chambre pour poser ses affaires tandis que Madame mère parle avec une de ses amies au téléphone.
Gilles s’amuse tout le temps de ces conversations et de la connivence qui lie sa mère à quelques vieilles copines de travail ou d’enfance.
Il y’a toujours mille choses à dire, mille facéties à raconter.
Il l’entend qui raccroche et qui approche de la chambre.

« Alors mon grand, tu t’es bien amusé avec Nathalie hier ?
- Ben en fait je suis allé boire un verre pour me changer les idées, mais j’étais seul.
- Et tu n’as donc pas dormi chez elle cette nuit ?
- Non, chez un mec !
- Tu as rencontré un nouvel ami ?
- Non, enfin oui… J’en sais rien !! C’était juste pour me changer les idées… Je pense encore trop à Manu, alors j’avais envie de voir si je pouvais faire passer ça avec d’autres bras…
- J’en conclu que ça n’a pas marché ? demande Madame mère.
- Non, admet Gilles. Il est pourtant adorable ce garçon et il à eu l’air de s’attacher à moi cette nuit…
- Oui, j’imagine que Fabrizzio s’attache vite !!
- … ????
- Et oui je connais son prénom !!
- Mais ??? Comment est-ce possible ???
- Ton nouveau chérubin à déjà voulu te joindre 2 fois avant que tu ne rentres. Il m’a demandé deux fois de noter son numéro de téléphone et m’a fait jurer de te faire la commission dès que tu passais le pas de la porte. Enfin bref, appelles-le tout de suite ou il risque de faire une syncope on dirait !! Décidément, je sais pas ce que tu leur fait à ces garçons, mais dès qu’ils te rencontrent, ils ne veulent plus te lâcher… »


Gilles est abasourdi devant cette déclaration et compose tout de suite le numéro de Fabrizzio !

« Allo ?
- Fabrizzio ? C’est moi ! Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu m’as appelé 2 fois alors que je t’ai quitté il y’a à peine 45 minutes ? Et comment tu as eu mon numéro ?
- Ben la touche ‘bis’ c’est pas pour les chiens non ?? Puis j’avais trop envie de t’entendre de nouveau… Tu me manques déjà !!
- Ben dis-donc tu ne perds pas de temps toi hein ?
- Non jamais, je te l’ai dit hier soir, je ne tourne pas autour du pot… Ca à l’air de te déranger finalement ?
- Non… C’est juste que je trouve ça un peu… rapide !! Un peu… surprenant !!
- Et alors ?? C’est pas ça qui est agréable ? La surprise justement ? Je suis juste désolé si j’ai importuné « belle maman »…
- …
- Non je plaisante !! Je ne suis pas « si » rapide que ça t’inquiètes !! Alors ? Plus sérieusement, ta mère n’a pas été trop agacée par mes appels ?
- Non, répond Gilles, elle m’a juste dit que j’avais dû te faire un effet du tonnerre pour que tu appelles si vite…
- Ben… Elle s’est pas trompé ! Je veux que tu viennes dormir ici ce soir encore. J’ai trop envie de profiter de toi pendant que mon homme est absent !! Dis-moi oui… Allez, s’il te plait !!! J’ai trop envie de t’emmener dans un resto que j’adore… Je t’invite !! Allez, bébé, dis oui !!
- Ben c’est très gentil à toi mais ça me gêne quand même, puis j’aimerai bien dormir tranquille ce soir…
- (silence)
- Tu es là ? Demande Gilles.
- Oui. Je vois que ton envie n’est pas aussi grande que la mienne… Désolé de t’avoir importuné. Ciao ! »


Bip, bip, bip….
Gilles reste planté, le combiné à la main…
Il se sent un peu mal à l’aise. Il se dit qu’il n’a pas été très gentil avec lui…
Il raccroche.
Cela sonne au même instant, alors il décroche automatiquement.

« Oui ?
- Excuse-moi bébé, je suis trop impatient toujours… Je ne veux pas qu’on s’engueule, mais j’ai tellement envie de te voir…
- C’est rien, t’inquiètes. Ok, je viens ce soir ! Je ne résiste pas à une invitation au restaurant…
- A moi non plus tu ne me résisteras pas !
- Ca on verra mon grand !
- C’est tout vu bébé… A ce soir. Je t’attends chez moi à 20h. Le resto est juste à côté de l’appart. Je t’embrasse partout.
- Ok à ce soir alors ! »


Gilles ne sait pas pourquoi, mais quand il raccroche, à cet instant précis, il se dit qu’il vient de faire une énorme connerie en acceptant.
Il a comme un gout de terre dans la bouche.
Comme un truc lourd qui viendrait de tomber sur ses épaules.


A suivre...

1 Comments:

Blogger Fifi said...

Heu... On a pas été séparés à la naissance par hasard??
Décidemment, il m'est, à quelque détails près, arrivé exactement la même chose!
Enfin bon, un peu de suspense façon Jonathan Demme dans un récit, ça le fait toujours!
Surtout quand le méchant de l'histoire est un "Hannibal Lecter" en puissance...
Bisous mon Sha

6:05 PM  

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