25 avril 2007

Sur le Trajet (chapître seizième)

La lune miroite sur la surface de l’eau et le silence se fait sur les bas-ports du fleuve. Le brouhaha de la ville s’étouffe avant d’atteindre les deux garçons qui cheminent dans l’obscurité.
Manu est proche du bord et marche en équilibre le long de la berge. Un faux pas et il bascule dans l’eau glacée.
Il titube un peu moins de toutes manières. L’épisode du videur à dessaoulé quelque peu Manu qui se perd dans ses pensées tandis qu’il arpente le pavé.
Gilles commence à avoir un peu froid. Après tout ce n’est que le mois d’avril et la fraîcheur est encore bien présente dans l’air du soir.

« Manu, je crois que l’on ferait mieux de rentrer non ? Je suis gelé et j’ai envie de dormir… »
« Fais comme tu veux, tu connais le chemin ! »


La réponse de Manu claque dans le silence.
Elle est sans appel.
Ce soir Gilles va rentrer seul et Manu ne rentrera pas avant qu’il ne soit poussé à le faire par la fatigue ou une ivresse trop lourde à porter.

Gilles fait donc un effort surhumain pour ne pas chercher à tenter de le ramener à la raison et il tourne les talons pour remonter vers la route qui longe le quai de la Saône.
Arrivé en haut, il pivote la tête et aperçoit la silhouette de Manu.
Son ombre se découpe sous la lueur de la lune si pleine, et il semble le fixer depuis là-bas, comme pour le défier de partir véritablement.
Manu pense sans doute que Gilles va rester sur la route en attendant qu’il veuille bien remonter.
Mais il n’en est rien.
Gilles lui sourit, même s’il sait qu’à cette distance Manu ne pourra pas déceler le moindre mouvement sur ses lèvres. De toute façon, c’était un sourire triste.
Un sourire qui veut dire « Tant pis mon amour, je te laisse à ta nuit et je rentre à la mienne.
Je sais que nos nuits ne seront jamais les mêmes.
Les tiennes sont trop pleines de souffrance et d’angoisse.
Tes nuits sont prisonnières de 4 murs, prisonnières d’un virus qui te fait penser qu’un jour prochain tu n’auras plus la force de voir une nouvelle aube.
Pourtant, moi, je suis là et je peux t’accompagner jusqu’au bout du chemin, si seulement tu pouvais juste accepter que quelqu’un puisse t’aimer.
Car tu es aimable ô combien.
Tu à juste ces doutes qui te consument, une histoire lourde de « l’anamour ».
Ce manque de cœur dont les gens ont fait preuve à ton égard.
Aujourd’hui je te donne tout si tu l’acceptes.
Je te donne mes rires, mes larmes, mes peurs, mes joies, mes envies, mes folies, mes failles, mes remords.
Je dépose tout ça à tes pieds car en faisant ça je me livre simplement.
Je laisse tomber les masques enfin.
Tout ça pour n’être qu’à toi, rien qu’à toi…
Il suffit juste que tu le veuilles mon Manu ! »


Mais le sourire de Gilles s’efface en même temps qu’il tourne la tête pour rentrer dormir. Il va se coucher sachant que son sommeil sera fébrile, car il attendra le bruit des clés dans la serrure, les pas de Manu sur le parquet, le son léger des vêtements qui tombent et du corps nu qui se glisse sous les draps.
Gilles aime à penser que malgré tout, avant de s’endormir, Manu glissera son bras autour de lui et que dans un silence de chambre, ce geste fera oublier son attitude de ce soir.
Ce soir n’était qu’un mauvais soir comme il y’en a parfois.
Ce n’est rien de plus qu’une petite faille dans l’émail de leur histoire.
Un petit éclat sur la surface lisse.

Alors Gilles arrive à l’appartement une demi-heure plus tard. Fatigué de la marche, il se déshabille pour prendre une douche chaude.
Sylvie n’est pas là ce week-end, il est seul dans l’appartement.
Il s’allonge et pense à cette première histoire d’amour qu’il est en train de vivre.
A cette première histoire que semble arriver à son terme.
Il n’imagine même pas comment il va faire pour affronter les gens de tous les jours, les questions de madame mère. Les nuits sans lui alors que depuis des mois il n’y a que sa peau sur sa peau.
Il n’imagine pas le retour chez ses parents et sa chambre d’enfant.
Il ne peut pas croire que tout ça puisse s’arrêter.
Sans s’en rendre compte, il laisse couler ses larmes car il ne comprend tout simplement pas, comment il va pouvoir continuer à vivre sans lui.

Pourtant, il trouve ça pathétique car après tout, que sont quelques mois dans une vie ?
Ces mois en fait sont TOUT !
Car a-t-il vécu vraiment avant ?
Est-ce la vraie vie quand le cœur ne bat pour personne ?

Gilles s’endort finalement sous la chaleur des draps bleus.
Il espère vite se réveiller à la chaleur de Manu.

La lune pâlit aux petites heures du matin.
Gilles laisse glisser sa main dans le lit.
Quand il rencontre le vide, il ouvre les yeux.
Son poing se serre.
Son cœur aussi.
Son ventre aussi.
Il a envie de vomir.

Manu n’est pas là…
Il n’a pas su fermé la porte aux démons qui l’emportent.
Cette nuit, Manu est revenu vers le sombre.

Par amour, Gilles décide de plonger dans l’ombre aussi.
C’est la seule façon de ne pas perdre celui qui brûle son âme.
A compter d’aujourd’hui, Gilles va s’oublier.
Il va inviter le Diable à danser…


A suivre...