20 avril 2007

Sur le Trajet (chapître douzième)

Manu avait cette facilité à se sentir bien en toutes circonstances et à avoir une aisance particulière en société. Dans ses paroles, il ne cherchait pas à enrober les choses, il les disait simplement, naturellement. Ce qui amenait ceux qui l’écoutait à le détester d’emblée ou, au contraire, à l’apprécier immédiatement. Il n’y avait pas de juste milieu avec Manu. Soit ça passait, soit ça cassait.
Avec les parents de Gilles, inutile de préciser que c’est passé immédiatement.
La soirée s’est déroulé dans une pure harmonie et Manu fascinait son auditoire en racontant ses anecdotes de barman lorsqu’il travaillait dans certains restaurants huppés tandis qu’il était plus jeune. Il n’avait pas son pareil pour relater les faits. S’il avait pu le faire, Gilles en est certain, il aurait pu écrire de jolies choses.
Gilles se dit qu’il pense cela sans doute parce qu’il est raide dingue de lui, mais au vu de la réaction de ses parents, il se dit qu’il doit être un peu dans le vrai tout de même.
La spécialité de madame mère, le civet de lapin aux olives et le gratin dauphinois maison, fait l’admiration de Manu qui n’hésite pas à accepter une seconde tournée. Gilles quant à lui se contente d’une seule assiette, il faut comprendre qu’il adore ce plat, mais qu’il en mange régulièrement depuis presque 15 ans.
A la fin du repas, monsieur père sort quelques bouteilles de digestifs et raconte l’histoire de cette bouteille d’eau de vie de poire, avec un véritable fruit à l’intérieur, scellée à la cire.

Cette bouteille à été offerte aux parents par monsieur F, le grand-père maternel de Gilles. Celui-ci à offert cette bouteille en 1968, le jour de la naissance de Gilles.
Ce dernier n’a guère de souvenirs de monsieur F, celui-ci étant décédé d’une pleurésie en 1969. Maladie très dure à soigner en cette époque, surtout que monsieur F n’était pas vraiment un fervent « fréquenteur » de docteurs en tous genres, qu’il habitait, de plus, dans un village d’Ardèche, la plupart du temps « ravitaillé par les corbeaux » pour reprendre l’expression populaire.
Ainsi s’est-il éteint rapidement cette année-là. Miss Marie, sa femme, prit le deuil pendant un an, mais, toujours poussée par une fougue de vie, ne cessa jamais de vivre les choses à fond. C’est elle qui consola madame mère car cette dernière était très atteinte par la mort de son père. Miss Marie la prit sous son aile bienveillante et lui redonna le sourire, puis le fait que Gilles arrivait sur ses 1an, fut l’occasion d’organiser une fête pour de nouveau espérer de beaux lendemains.

Pour en revenir à la dite bouteille, il avait été conclu de l’ouvrir pour les 30 ans de Gilles.
Celui-ci n’osait imaginer le gout que pouvait avoir un fruit entier immergé dans un alcool à plus de 45°, privé d’oxygène durant plus de trente années. Mais pour le savoir, et bien il fallait qu’il attende encore douze ans. Après tout, que sont douze ans dans toute une vie ?
D’autres alcools font donc le bonheur de l’assemblée ce soir-là et vers les 1h du matin, Manu et Gilles prennent congés, un peu éméchés.
Monsieur père se demande sans doute pourquoi Gilles rentre avec Manu, cependant il n’en laisse rien paraître, et depuis ce soir là, Gilles est persuadé que monsieur père sait ce qu’il en est, mais que même s’il ne souhaite pas aborder le sujet de front, il est néanmoins content d’avoir rencontré Manu, et ce, quelle que soit la relation qu’il entretient avec son fils. Et même s’il imagine très bien qu’ils ne passent pas leurs soirées à « enfiler des perles » pour reprendre une autre expression populaire tout aussi imagée !

Gilles et Manu sautent dans un taxi, et vont boire un verre dans le bar de leur rencontre « Le Vénus Bar ». Ce bar ferme à 3h00 du matin les samedis, ils ont donc largement le temps de s’enivrer un peu plus.
Il faut dire que Manu à cette faculté à lever le coude de façon intempestive. Et même si Gilles commence également à apprécier cela, il ne peut s’empêcher de s’inquiéter par rapport à ça. En effet, parfois les réactions de Manu deviennent assez agressives l’alcool aidant, et Gilles, dès lors, se sent un peu mal dans ces situations.
Ceci-dit ce soir il n’en sera rien, car Manu est enchanté par la soirée, il est heureux et l’alcool ne fera pas changer cet état de fait.
Ils entrent dans le bar vers 1h30 tandis que le comptoir et les fauteuils sont pleins à craquer. Sur le « lasergraphe » du bar passe un vidéoclip. Tout le monde est fou de ce clip à l’époque et le milieu gay n’est pas en reste. Madonna et son « Like a Prayer » fait se déchaîner les hanches de toutes les jouvencelles de la ville. Elles deviennent quasi « Christiques », prêtent à vous donner l’absolution en toutes circonstances.
Gilles et Manu jouent du coude et parviennent à se mettre au comptoir. Fifi d’amour, le barman, leur saute dessus avec un sourire radieux. Il est adorable Fifi d’amour, c’est un peu un confident pour beaucoup ici, et sa gentillesse n’est jamais feinte.
Il sert deux gin-tonic aux garçons et les laisse parler au milieu du brouhaha.

Manu étant très connu dans ce milieu est amené à dire bonjour à plusieurs garçons toute la soirée. Mais il ne laisse jamais Gilles à l’écart, le présentant à chaque fois aux garçons en question. Ceux-ci font mine d’être ravis de faire sa connaissance, tandis que leurs yeux, disent au contraire « Ton mec me plaît mon grand, fais bien attention à ne pas le perdre »… Mais Gilles est déjà rompu depuis longtemps à ce genre de regard et son regard à lui, si tant est que l’on sache y lire, leur répond également dans un sourire « Toi mon grand je ne t’aime pas et je suis sur que c’est réciproque mais je m’en tape royalement. Passes ton chemin, tu ne fais que croiser notre route car il y’a des embouteillages » !
D’ailleurs après deux-trois banalités échangées, Manu se retourne vers Gilles et reprend leur conversation à bâton rompus.
Les verres s’enchaînent et le bleu des yeux de Manu commence à se troubler. Il est 3h00 passé et le bar n’est toujours pas fermé. Il ne devrait pas tarder.
Gilles commence à avoir envie de partir. Manu voit qu’il commence à s’agiter. Gilles sent que Manu remarque son agitation et tente de se calmer un peu.
Manu lui prend la main à ce moment là, il demande à Fifi d’amour ce qu’on lui doit et lui demande d’appeler un taxi.
Gilles lui sourit avec toute la tendresse du monde.
Ils partent tous les deux dans la nuit pour se nourrir de leur peau.

Ce soir-là Manu a fait l’effort de ne pas pousser la nuit jusqu’à son terme.
Mais les efforts seront de plus en plus vains.
Les démons s’annoncent de nouveau.
Ils guettent dans l’ombre.
Ils se sont reposés depuis plusieurs mois, et sont à l’apogée de leur forme.
Et Gilles ignore qu’il n’a pas les armes pour les combattre, il va juste tenter de survivre à ça…


A suivre...

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Serait-ce le moment où je ne dois plus lire?...???

12:57 PM  

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