01 juin 2007

Sur le Trajet (chapître trente neuvième)

A peine arrivé chez lui, Gilles compose le numéro de Fabrizzio.
Par bonheur le répondeur se met en marche dès la première sonnerie. Gilles en profite pour laisser un message succinct dans lequel il lui précise qu’il n’est donc pas libre ce soir mais qu’ils se verront demain soir sans fautes.
Ceci fait, Gilles profites du temps qu’il lui reste pour écrire une lettre à sa petite sœur de cœur : Sandy.

Sandy, il l’a rencontré en 6ème. Il avait une douzaine d’années. Ils avaient vécus une petite amourette adolescente puis étaient restés très proche l’un de l’autre. Depuis lors, Sandy est partie vivre à Marseille, mais ils ont gardés une très forte et régulière relation épistolaire. Depuis plus de 10 ans ils se disent tout dans de longues lettres qu’ils s’envoient au minimum toutes les semaines.
Sandy lui à dévoilé ses peurs d’adolescentes et ses envies de suicides à certains moments trop noirs.
Gilles, quant à lui à parlé en premier à Sandy de son attirance pour les garçons. Elle s’en doutait depuis longtemps, mais elle attendait juste qu’il soit prêt à se livrer.
Voilà, c’est ça qui lie Gilles à Sandy depuis tout ce temps, une connivence, une confiance, une réelle tendresse qui résiste au temps et aux distances.

Une fois la longue lettre terminée ou bien sûr il lui à parlé du retour de Manu, de la rencontre avec Fabrizzio, de sa nuit à trois, il se rend dans la salle de bain pour prendre soin de lui. Douche, crème hydratante, se raser, bref… Se faire beau pour la soirée où, il en est sur, les âmes vont brûler.
Il choisit méticuleusement sa tenue. Un jean un peu usé, qui lui moule parfaitement les fesses, un tee-shirt blanc légèrement moulant, mais pas trop et des baskets blanches avec 3 rayures noires.
Devant la glace il se mire et semble content du résultat. Il enfile son petit sac à dos noir et ses lunettes de soleil.
Il est en train de fermer la porte lorsqu’il entend le téléphone sonner.
Il rouvre en vitesse et décroche l’appareil avant que le répondeur ne s’enclenche :

« Oui,
- C’est moi.
- Ca va Fabrizzio ?
- A ton avis ?
- Ben je sais pas ?
- Ben non ça ne va pas ! Comment tu veux que j’aille bien quand j’écoute un message qui m’annonce que je vais passer de nouveau une soirée, seul sans toi ? Comment penses-tu que je réagisse quand je vois que tu préfères passer du temps avec un ex qui t’a fait souffrir plutôt qu’avec moi ? Tu me prends pour un con ?? A quoi tu joues ?? »


La fin de la phrase atteint des proportions énormes dans le dégagement de décibels. Gilles se dit que les voisins de Fabrizzio doivent se demander ce qu’il se passe tant la voix est hurlée, crachée, vociférée !

« Euh… Fabrizzio, déjà je n’ai aucun compte à te rendre, je te rappelle que nous sommes amants mais que je ne t’ai jamais rien promis. Ensuite je déteste le ton que tu prends avec moi. Je ne t’appartiens pas ! Donc si c’est pour en arriver là, je préfère qu’on arrête là tout de suite. Je suis désolé, je ne supporte pas les colères qui n’ont pas lieu d’être. Alors je te le dis tout net : on arrête de se voir. Je dois partir, je suis en retard. Ciao ! »

Gilles raccroche, passablement énervé par cette attitude puérile.
Evidemment, le téléphone retentit de nouveau illico.
Gilles ne répond pas et ferme la porte.
Il se dirige chez Manu.

Manu voit tout de suite que Gilles est un peu énervé et lui demande ce qu’il se passe.
Gilles lui explique l’attitude de Fabrizzio, ces crises de colères brutes et récurrentes, ses excuses nombreuses à chaque fois mais qui n’empêchent nullement un recommencement de cet état de fait.
Il explique aussi que cette rencontre date de plus de 15 jours maintenant, mais qu’en tout et pour tout ils ne se sont vu que deux fois.
Deux simples nuits passées ensemble et que, même si pendant ces nuits, il y’a eu des moments forts, il ne s’explique pas une si soudaine emprise.
Manu tente de calmer Gilles et de le rassurer.
Il pense que Gilles à bien fait de mettre un terme à cette relation et que le peu de description qu’on lui a fait est déjà suffisant pour se dire que le garçon en question n’est pas forcément très stable mentalement.
Donc, mieux vaut passer à autre chose.

Confiant dans sa décision, Gilles remercie Manu pour ses conseils et lorsque David apparaît, frais et dispo pour partir en goguette, les trois garçons se dirigent vers un bar bien connu de deux d’entre eux : « Le Vénus Bar ».
Plus d’un mois que Gilles et Manu n’y sont plus retournés.
Lorsqu’ils franchissent la porte, Fifi d’amour, le barman, les accueillent immédiatement avec un sourire franc et chaleureux.
Parce qu’il à l’habitude de cela, Fifi remarque tout de suite que la donne à changée entre les deux garçons et que la relation n’est plus la même. Toutefois il remarque qu’une vraie complicité semble demeurer entre eux et cela lui fait plaisir.
Manu présente David au barman qui lui fait un bisou des plus sonores, histoire de faire l’idiot comme il aime à le faire le plus souvent.
David rougit instantanément et se colle au bar en espérant que les regards des autres se détournent enfin. Gilles remarque sa gêne et le prend dans ses bras pour lui signifier qu’ici, c’est la bonne humeur avant tout.
David ne connaît pas ce genre d’établissement. A Nantes il n’en fréquentait aucun.
Au vu de l’agitation de ses pupilles, Gilles se dit qu’il boit cet instant et le savoure jusqu’à la lie.

Après quelques verres d’apéritif, dont le nombre sera tu par égard hépatique envers leur anonymat d’alcooliques mondains, les trois compères décident d’aller diner. Manu souhaite retourner dans le restaurant ou ils étaient allés avec Gilles, Jacques et Fred en avril dernier.
Gilles se dit que décidément, ce soir, c’est un pèlerinage qu’il fait. Mais il accepte néanmoins de retourner dans ce resto. La nourriture y est, de plus, excellente.
A table, les sujets de conversation sont multiples. David ne masque pas son intérêt pour la ville et les possibilités de rencontrer un garçon. Sa curiosité fait plaisir à voir. D’ailleurs, s’il le pouvait il voudrait s’installer ici. La ville est grande, elle lui plait et les opportunités de rencontres sont nombreuses. Il dévore sa viande avec un appétit féroce.
Gilles se dit que décidément c’est trop injuste que ce garçon si jeune et si beau, si plein de vie, d’envie de découvertes diverses et variées, n’ait plus pour lui, qu’une espérance de vie limitée en l’état actuel des recherches sur la maladie.
David croise alors ses yeux à cet instant et devine sûrement les pensées de Gilles car un léger voile semble couvrir d’un coup, le regard aiguisé qu’il affichait jusqu’à présent.
Gilles lui prend la main et la serre fort avec un sourire. David se reprend et avale une grande gorgée de vin. Manu qui observe la scène comprend que David à parlé de sa maladie à Gilles, il prend également la main de David puis celle de Gilles.
A cet instant, les trois garçons semblent liés par une force impressionnante et une puissance émotionnelle enivrante.
Alors avant de sombrer dans une mélancolie annoncée, ils lèvent leur verre ensemble et portent un toast.

« A nous ! »

David boit une gorgée en se disant qu’il faut profiter de l’instant présent pendant qu’il le peut.
Manu boit une gorgée en se disant que David, malgré son jeune âge, à une force mentale impressionnante qu’il n’est pas sur d’avoir lui, le jour ou il apprendra que son Sida est déclaré.
Gilles boit une gorgée en se disant que si un jour Manu et David devaient s’éteindre, qu’il serait bien qu’ils se retrouvent tous les deux quelque part.
Que si il y’a quelque chose après tout ça, qu’il faudrait leur laisser cette chance.
Puis que le jour venu ou lui aussi partira, il aimerait les retrouver comme ce soir.
Gilles se dit qu’il a trop bu et qu’il est temps d’arrêter de délirer.
Il retient ses larmichettes et sourit aux deux garçons qui, ce soir, sont particulièrement lumineux.
Manu commande des digestifs comme Gilles s’y attendait.
La ronde des verres continue, les langues se délient.
Vers minuit et demie, ils se lèvent enfin pour repartir dans la chaleur nocturne et évacuer un peu leur vapeur d’alcool.

Ils marchent tous les trois, main dans la main.
L’air est un peu lourd, la fraîcheur à du mal à tomber malgré la nuit.
Ils se dirigent vers une boîte de nuit sur les pentes de la Croix-Rousse.
Ils sont heureux d’être ensemble tout simplement.
Gilles se surprend lui-même à se sentir si bien avec Manu et un nouveau venu.
La jalousie qui aurait pu survenir n’est pas intervenue.
C’est juste un simple bien-être qu’il ne s’explique pas.
Il en profite, tout naturellement.
Il sourit à la lune et fredonne une chanson.
Les deux garçons la fredonnent à leur tour et c’est à l’unisson qu’ils arpentent les rues.
Ils marchent d’un même pas, chantent d’une même voix.
Quelques noctambules croisent leurs chemins et doivent se dire que ces 3 lascars sont bien heureux de vivre.
Impossible de se douter que, parmi ces trois individus, un seul, pour le moment n’est pas dans l’expectative d’une mort annoncée.
Et qu’un seul gardera, pour toujours en mémoire, ces instants de vie dérobés.


A suivre...