25 juin 2007

Sur le Trajet (chapître quarante sixième)

La soirée se poursuit à la flamme des bougies. L’orage à fait sauter les plombs et les trois garçons boivent et mangent dans une pénombre des plus chaleureuse. Tout le quartier est plongé dans le noir et le silence et l’obscurité environnante donne un petit côté fantastique à ce repas imprévu.
Les verres de vins s’enchainent au même titre qu’ils se resservent à manger et lorsque le dessert arrive, ils se rendent compte qu’il est déjà plus de minuit.
Leurs conversations, leurs mutuelles connivences ont fait que personne n’a vu le temps passé. Les aiguilles de l’horloge ont tournées à la vitesse de la vie qui file trop vite et ne laisse pas assez de temps aux instants précieux, aux moments rares ou autour d’un repas, les confidences se font naturellement et ou chacun à l’impression, à sa manière, de refaire le monde.
Alors ils se regardent chacun à leur tour.
A la lueur des flammes, les yeux semblent briller davantage.

Manu sort une bouteille de vodka du congel et les trois garçons trinquent à eux.
Ils savent bien que rien ne sera plus comme avant.
Gilles sait qu’il ne reverra pas David. Il ne sait pas comment il peut l’affirmer, il le sent, tout simplement.
Il voit aussi dans le regard de Manu une légère tristesse à l’expectative du départ de David, mais Manu ne le retiendra pas.
Manu ne retient jamais personne. Il préfère laisser le libre choix à celui qui décide de partir.
Et David aimerait sans doute rester, mais n’est pas sur que la réciproque soit vrai, alors il part. De toute façon sa mère est malade, mais il aurait très bien pu rester si quelqu’un lui avait demandé.
Gilles se rend compte que le manque de communication peut parfois amener les choix à se faire malgré eux et que tout ceci est simplement lié à la peur.
Ne pas oser dire à l’autre de rester de peur qu’il refuse.
Ne pas oser demander à rester de peur de s’entendre répondre par la négative.
Alors les peurs musellent les envies, annihilent les besoins, entravent les désirs de chacun.

Aux alentours des deux heures du matin, les regards deviennent plus las, la fatigue commençant à prendre place au milieu des iris.
Gilles ne souhaite pas dormir ici. Il sait qu’il va se laisser encore tenter par le corps de Manu et David et que ce sera encore plus dur le lendemain matin s’il se laisse aller.
Alors il se lève en disant qu’il va rentrer car il est fatigué.
David réagit instantanément :

« Tu dors pas ici avec nous ?
- Non je ne préfère pas. Je n’aime pas les adieux aux petits matins blêmes !
- T’es sur ? renchérit Manu.
- Oui, c’est mieux comme ça. Puis c’est votre dernière nuit à vous. Faut pas gâcher ça et moi demain je ne suis pas sur d’être assez fort pour te dire adieu David. Car je ne sais pas pourquoi, je ne pense pas que l’on va se revoir.
- Pourquoi dis-tu ça ? demande David.
- Je ne sais pas, une impression, une intuition… J’espère me tromper bien sur ! Car tu vas bien me manquer, même si je ne te connais que depuis à peine une semaine.
- Oui, c’est pareil pour moi. C’est assez rare que j’éprouve un tel attachement en si peu de temps. En même temps, après ce que m’avais dit Manu sur toi, j’aurais dû m’en douter. »


Gilles regarde Manu qui baisse le regard quand il croise le sien. Alors il se lève pour le prendre dans ses bras. Puis il fait signe à David de les rejoindre et tous les trois restent blottis ainsi plusieurs minutes.
Puis Gilles rompt le cercle et se dirige vers le salon pour reprendre son sac à dos.
Il l’enfile et retourne vers la cuisine.
Manu commence à débarrasser la table.
Gilles va vers lui et l’embrasse tendrement en lui promettant de le rappeler le lendemain soir pour voir comment il va.
Manu le remercie avec un petit sourire triste.
David attend Gilles devant la porte d’entrée. Il a voulu être seul avec lui pour faire son adieu.
Gilles entre dans le vestibule et se dirige vers David qui se tient debout, devant la porte.

« J’avais raison tout à l’heure non ? C’est la dernière fois qu’on se voit ? demande Gilles.
- Oui, je pense aussi que tu avais raison…
- Tu sais, je garderai toute ma vie en souvenir ces quelques jours avec toi et Manu. Je ne pourrais jamais oublier Manu et comme tu es lié intimement à cette histoire, tu resteras toi aussi pour toujours dans un coin de ma mémoire.
- C’est gentil de me dire ça. Au moins je resterai dans la mémoire de quelqu’un, c’est déjà ça !
- Tu resteras bien dans d’autres mémoires non ? demande Gilles doucement.
- Dans ta mémoire et celle de Manu, c’est le principal. Puis je te remercie de ton écoute et de ton attitude à mon égard. Je n’aurais jamais imaginé ça en venant à Lyon avec Manu. Vraiment je ne regrette pas d’avoir fait le voyage. Le seul problème étant que maintenant je doive continuer avec ce nouveau manque. Le manque de toi, le manque de lui.
- Tu sais que tu peux m’appeler quand tu veux David. Quoique je puisse faire je le ferai dans la mesure de mes moyens. Promets-moi de prendre soin de toi…
- Je ferai mon maximum… J’ai envie de t’embrasser une dernière fois avant que tu t’en ailles…
- Moi aussi ! réponds Gilles. Allez viens, approche-toi… »


Ainsi, David et Gilles échangent-ils un baiser à cet instant précis.
Il est long, profond, absolu.
Il n’a rien de sexuel.
C’est un baiser à la limite de l’amour qui ne peut pas commencer car il ne pourra pas durer.
C’est peut-être mieux comme ça, puisque l’on dit que les amours qui durent rendent les amants moins beaux.
Alors ce soir, ils se disent véritablement adieu.
Gilles sait que David ne l’appellera jamais.
David retient une crise de larme.
Il ne veut pas arrêter cet instant.
Il voudrait continuer comme ça tout le temps.
Car continuer d’embrasser cela voudrait dire continuer de vivre.
Continuer d’imaginer un lendemain à chaque soir venant.
Continuer de se dire que cet espoir de vie n’est pas vain.

Les langues se lâchent et les lèvres se décollent.
Les yeux se fixent une dernière fois.
Les mains se crispent, se décrochent.
La porte s’ouvre sur l’allée crépusculaire.
Gilles détourne les yeux de ceux de David et pénètre dans le noir.
La porte se referme sans un mot.

Gilles demeure un instant dans l’ombre pour que ses yeux s’habituent.
Avant de commencer à descendre, il entend David pleurer dans les bras de Manu de l’autre côté de la porte.
Gilles s’élance dans l’escalier.
Il ne cherche pas à retenir ses larmes.
Alors il reste dans l’allée, au rez-de-chaussée.
Il attend que ça passe.
Il sait faire ça Gilles.
Attendre que les larmes sèchent…

Puis repartir, encore,
Et garder toujours,
En lui,
Les êtres manquants.


A suivre...

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Quel retour Sha! Tu ne nous ménage pas. Je ne connais personne de cette fresque lyonnaise, mais je me retrouve devant mon ordi avec les yeux embués...Je retrouve la spontaneité et la véracité des premiers posts. J'espére que ce silence volontaire de ta part t'a permis de "remettre en place ce qui devait l'être" et j'attend la suite de cette aventure "folleme,t" humaine dès demain...Hein!

6:12 PM  
Blogger Sha said...

pep69> Merci pour ce gentil message.
Oui les choses se remettent en place, doucement, avec le temps...
Voici la suite, comme prévu, aujourd'hui mardi.
Bonne lecture et encore merci.

12:03 PM  

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