31 janvier 2007

Philou

1991. Une de mes premières visites à l’Institut Lumière. Tu étais à l’accueil. Je t’avais trouvé mignon. Je suis revenu souvent puisque j’avais des cours à suivre dans cet Institut. A force de te voir, de te parler, on a commencé à délirer, à déconner, à s’apprécier. Toi hétéro, moi homo, on s’en foutait, on était à l’unisson.
A tel point que tu m’as un peu pistonné pour que je puisse travailler avec toi à l’Institut Lumière…

1992/93/94/95. Quatre années à travailler avec toi. Cinémathèque, Conservation, Patrimoine, Presse, Evènementiel… Quatre années enrichissantes. On était bien tous les deux. On avait les mêmes plaisirs. On était autant férus de ciné l’un que l’autre. On en a fait des séances, on en a écumés des écrans blancs… Puis on faisait souvent la fête avec tes amis, dont Christian et Anne-Sof avec qui tu partageais un appart.
On en a fait des nuits blanches…

1993. En mars tu étais parti en vacances. Quinze jours en Allemagne. Quand tu es revenu tu avais des étincelles dans les yeux. Tu étais sur un nuage. Car tu étais tombé amoureux…. d’un garçon. Tu ne t’es pas posé de questions, tu t’es laissé aller et tu m’en a parlé tout de suite évidemment. Wolfgang était son prénom. Tu étais fou de lui. Tu as complètement accepté ton homosexualité. Moi j’ai été un peu surpris car rien ne laissait supposer ça. Mais après tout, tu étais heureux, alors y’avait pas de questions à se poser.

1993. En octobre ta jeune sœur qui avait 22 ans à l’époque fait un accident vasculo-cérébral. Elle reste dans le coma plusieurs semaines puis se réveille mais est paralysée d’un côté. Tu l’as aidé autant que possible, et d’année en année elle faisait des progrès. Aujourd’hui elle à un diplôme d’infirmière et s’en sort plutôt bien.Toutes ces années tu as pris beaucoup en toi pour lui donner. Cette usure commençait à te grignoter l’âme.

1994. Wolfgang te quitte. Tu vas mal. Mais tu penses à ta sœur, tu relativise et tu efface cette première déception. Mais elle reste en toi, malgré tout.

1995. Après une année de folie à l’Institut, Centenaire du Cinématographe oblige, je termine mon contrat. Je décide de partir.
Tu partiras rapidement aussi car depuis des années tu rêves de faire du casting. Tu es amoureux des acteurs, des actrices. Ah, Romane Bohringer comme tu l’aimais à l’époque !! C’était ton égérie !!
Ainsi tu es parti. A Paris, tenter ta chance.

1996/97/98/99. Des années de galères et de vaches maigres à Paris. Il fallait que tu te fasses connaître, il fallait infiltrer les soirées, se faire un agenda, des connaissances. Tu as mis le temps, mais tu y es arrivé. Tu as commencé à travailler, à rencontrer des acteurs, à faire des castings. Avec Luc Besson, avec Téchiné… Grâce à toi Marie-Josée Croze à remporté un prix d’interprétation à Cannes pour "Les Invasions Barbares". Depuis elle à tournée avec Spielberg. Belle découverte que celle-ci. Auparavant tu avais lancé Natacha Règnier. Actrice de téléfilm, elle explose dans "La vie rêvée des Anges". Depuis elle a tournée avec Ozon, Ackerman, Jacquot… Aussi une belle découverte.
Pourtant une fois lancées elles t’ont tourné le dos. Il faut croire que gloire trop soudaine n’est pas compatible avec les amitiés plus anciennes…
Ces attitudes se répètent souvent dans ce milieu finalement très superficiel. Et ça continue à te grignoter l’âme, le cœur…

2000. Anne-Sof se tue en voiture. Cette amie de tant d’années. Ca te brise le cerveau. Tu reviens à Lyon prendre soin de Christian qui se retrouve seul avec 2 enfants. Il est anéanti. Toi tu t’occupes de tout. Une fois de plus tu donnes, tu encaisses, tu aides…
Grâce à toi, Christian va refaire surface. Au bout de 3 ans il va rencontrer quelqu’un d’autre. Se remarier et avoir deux autres enfants. Aujourd’hui il est heureux.

2001/02/03/04/05. Tu te noies dans le travail, mais tu perds le goût des choses. Tu rentres dans la valse de la nuit parisienne. Tu deviens addict au sexe. Il t’en faut plus, toujours plus. Tu te jette dans les plans culs les plus brutes, tu en profites pour chopper la drogue, l’alcool… Les nuits sont rouges, violentes, sexuées. A chaque matin où tu te réveilles, tu te dégoûtes, mais tu continues. Tu t’en veux de ne pas faire face et de sombrer dans les plaisirs faciles. Tu ne t’aimes plus. Tes histoires d’amour se meurent avant d’avoir vécues. Tout n’est qu’amertume. Ton travail s’en ressens, tu t’en éloignes. Tu ne crois plus vraiment à la magie des acteurs. Tout s’enchevêtre, tout s’évapore…

2006. En septembre, tu m’envoies un mail. Tu dis que la mort rode autour de toi, que tu l’attends. Mais tu n’as pas le courage de passer à l’acte. Alors tu me dis que tu veux te laver l’esprit. Que tu vas partir plusieurs mois. Tu choisi Israël et tu pars. A l’aventure… Advienne que pourra. J’ai des nouvelles de toi régulièrement par mail. Tu commences à te reconstruire, tu fais des rencontres, tu voyages de ville en ville. Tu recharges les batteries. Tu retrouves le sourire au fil des mois. Tu reviens…

2006. Le 4 décembre tu es de nouveau en France. Quelques jours à Lyon, on en profite pour se voir. Une petite heure. Tu n’as pas beaucoup de temps, tu dois aller rejoindre Christian chez lui à la campagne. Alors on se capte pour boire un thé dans mon p’tit bar favori.
Tu me racontes tes anciennes angoisses, tes nouvelles envies, ce nouvel amour qui se profile à l’horizon de Tel-Aviv. Tu me fais part de ton besoin de redémarrer autre chose. Tu as de nouveau les yeux rieurs.
Avant de se quitter on s’embrasse et tu promets qu’à ton prochain passage à Lyon on se verra plus longuement. Tu passes la porte en me souriant. J’étais content de te voir si bien de nouveau.

2007. 29 janvier. Tu te suicide.

Pourquoi Philou ?

J’imagine que cet amour que tu espérais n’a pas aboutit. Qu’une fois de plus tu t’es reproché cet échec.
Fabrice m’a demandé si j’en savais plus, il était choqué. Je ne lui ai pas répondu véritablement. Je suis resté dans le vague.
Mais finalement j’aurais pu lui dire que tu n’es pas mort par amour, mais seulement par manque d’amour.
Cet amour que tu as tant donné et que certainement, nous n’avons jamais vraiment su te rendre.

Une étoile de plus dans mon ciel.

Je ne t’oublierai pas mon Philou.