11 mai 2006

Denis

Te souviens-tu Denis ?
Moi je me souviens.
1988, ma première année de fac, mes appréhensions, mes attentes.
Je flippais pas mal quand même, mais j’étais très excité aussi.
Je suis rentré en cours de sémantique dans l’amphithéâtre. Les cours d’amphi… tout un programme.
On était 400, on fumait en prenant des notes, on était finalement pas si mal dans ces amphis… C’était le temps de l’insouciance heureuse des années facs.

Je t’ai repéré tout de suite dans la multitude. Il faut dire que tu n’étais pas très discret.
Effectivement à heures régulières une petite sonnerie s’échappait de ton blouson. Tout le monde se tournait vers toi évidemment. Toi tu avais un petit sourire en coin. Car cela devait être la même chose à chaque fois.
Tu sortais alors un petit étui ou étaient rangés des cachets.
C’était l’heure de ta prise d’AZT.
A l’époque personne ne se doutait de la nature de ces médicaments, et chaque fois que la sonnerie retentissait, les étudiants avaient toujours un petit rire... S’ils avaient su !
Tu m’as séduit d’emblée et je me suis précipité sur toi comme un oiseau sur sa proie.
Quand je veux connaître quelqu’un, je m’en donne les moyens.
J’ai commencé à m’asseoir à côté de toi. Je suis très vite envahissant quand je veux me faire remarquer.
Et tu m’as remarqué !
Et l’on s’est embarqué dans une histoire « d’amitié amoureuse » comme on dit.
Bien qu’il ne se soit jamais rien passé entre nous (tu ne voulais plus de rapport physiques depuis ta séropositivité), on est très vite devenu inséparables.

Tu habitais à St-Jean, un petit appart mansardé. Joli tout plein. Envahi de vieilles affiches de cinéma et de bouquins. J’aimais bien y passer du temps, avec toi en tête à tête, à parler pour essayer de refaire le monde tout en mangeant et en buvant un petit vin rouge de ta connaissance.
Je me souviens qu’un soir pourtant on à failli se laisser aller l’un contre l’autre et l’on s’est embrassé. Mais très vite tu as repris tes esprits et tu n’as pas voulu aller plus loin.
On a fait plein de trucs ensemble et je t’ai entraîné avec moi pour aller prendre des cours de danse contemporaine avec Isa, la prof de danse qui m’avais demandé de rejoindre sa troupe.
Je t’ai imposé avec moi car plus j’étais avec toi, plus j’étais bien.
C’était comme ça, une évidence.
On est resté attaché l’un à l’autre pendant un an et demi.

En mars 1990 tu as développé une maladie opportuniste qui s’est attaqué à tes poumons. Tu étais hospitalisé à Grange Blanche. J’habitais à côté à l’époque, et inutile de dire que je passais te voir tous les jours.
Chaque jour qui passait te voyaient t’affaiblir de plus en plus…
Je venais avec Christine qui t’adorais aussi. Elle était géniale Christine, dommage que j’ai perdu sa trace aujourd’hui.
Il y’avait Myriam aussi, sublime brune mystique. Tout le monde se retournait sur son passage.
Il y’avait enfin Suzan, une étudiante allemande que l’on fréquentait assidûment.

C’est bizarre la mémoire parfois, tous ces noms oubliés qui me reviennent naturellement alors que je suis en train d’écrire ces lignes.

En tous cas je me souviens très bien de ce matin de mai, où l'on a débarqué dans ta chambre pour t’apporter des petits trucs à grignoter. C’est moi qui ai ouvert la porte pour découvrir ton lit vide, c’est Christine qui s’est tournée vers l’infirmière qui se précipitait vers nous et c’est nous quatre qui avons refusé d’entendre que tu étais mort dans la nuit.

On est sortis de l’hôpital, complètement hagards, ne sachant plus quoi faire, quoi dire. On a pris le bus machinalement pour retourner à la fac et dire à tous les autres que tu n’étais plus là.
On avait envie de se perdre au milieu de la foule.
Chacun à réagit à sa façon, mais tout le monde était anéanti.

C’était il y’a 16 ans.
Tu étais le premier, dans ma vie, à partir par la faute du Sida.
Le premier d’une longue liste.
Tu restes là, toujours, mais ton visage devient flou avec le temps.
Denis, c’est normal dis-moi ?
Je n’ai pas de photos. Je n’ai jamais su ou tu étais enterré.
Tout s’est passé si vite.
Même ta vie s’est passée trop vite, puisque tu n’as jamais eu 30 ans.
Moi j’approche des 40 et comme il me semble loin le temps de nos tourbillons.
Denis, j’aurais pu danser avec toi éternellement…

2 Comments:

Blogger Dragibus Rinpoché said...

...autre époque, mêmes angoisses, mêmes frissons, toujours cette grande émotion;
mon sharon....tu en as tellement enfouis tout là bas, si profond dans ton coeur, et en même temps à fleur de peau....
sensiblité, c'est toi tout entier...
tu restes toi, tu restes droit, mais tu as tant vascillé, je crois!
biz mon Sha

3:45 PM  
Anonymous Anonyme said...

Souffle coupé, à te lire. Bises

9:16 PM  

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