29 septembre 2006

Pigalle

J’étais venu au cabaret avec elle, mais sa maladie l’emportait. Elle s’était sentie mal tout à coup.
Cocaïne l’amenait contre son vieux cœur de fête, l’enveloppait en lui murmurant : « Je viendrai te voir souvent… je ne suis pas partie… mon contrat pour St-Martin n’est pas encore signé », de sa tiédeur maternelle et corrompue, de l’odeur de sa robe de satin déjà humide et froissée, de doublure de moire parfumée, d’alcool répandu et de restes d’étreintes de coulisses.
Elle la voyait incapable de suivre un spectacle jusqu’au bout, d’en supporter tous les tourbillons ; et cette rose de scène qu’elle piquait au hasard dans l’un des bouquets de la salle, et qu’elle lui lançait d’habitude du bord de la rampe, en même temps que ses gants de soie pourpre à la fin de son numéro d’effeuillage intégral de sa version nue de La Vie en Rose, elle la lui donnait tout de suite, la glissant entre ses doigts.
Il était temps de partir maintenant : il y avait trop de monde, des appels de tous côtés, des cris de retrouvailles comme pour l’ouverture d’une saison. Cocaïne faisait appeler un taxi. Nous la portions presque, claudiquant, à demi renversée entre nous, le long des miroirs assombris, où seule apparaissait la silhouette rouge de la Marilyn bis.
Et là, sur le trottoir, entourée par les reflets des néons de Pigalle, on aurait dit avec son sourire si frêle, son visage si mince qui disparaissait presque sous la perruque trop grande, masquant une chimiothérapie violente, une fillette solitaire qui revenait d’une fête de fin d’année et aurait voulu garder sur elle le principal accessoire de la parade d’un soir.